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L’avocat congolais face aux enjeux électoraux :
« Non assistance à peuple en danger »
Contrairement à la tradition monarchique où la transmission du pouvoir est réglée par voie héréditaire, en démocratie l’alternance au pouvoir s’effectue à travers des élections libres et transparentes. En janvier 2001, après l’assassinat de Laurent Désiré Kabila, une concertation politique décide de le remplacer par Joseph Kabila plus sur la base de sa filiation à l’égard du défunt président que sur celle des principes démocratiques. Ce qui a fait dire à certains que l’avènement de Joseph Kabila au pouvoir est un accident de l’histoire. Après 7 ans de guerre (1996-2003), et durant la transition instituée par le dialogue inter congolais de Pretoria, une constitution a été adoptée par voie référendaire en décembre 2005. Cette constitution reflétait l’équilibre politique d’alors représenté par des forces regroupées essentiellement autour de Joseph Kabila et de Jean Pierre Bemba. Mais avec l’affaiblissement du camp Bemba à la suite de sa défaite électorale en 2006 et de son exil forcé, il n’a plus existé de contrepoids face au régime actuel qui étale alors depuis sa vision politique caractérisée par la concentration de tous les pouvoirs de l’Etat entre les mains du chef de l’Etat. D’un point de vue général, la dictature est l’apanage de tout pouvoir. Ainsi les tenants du pouvoir sont recensés comme les plus grands violateurs des droits de l’homme. Le pouvoir congolais ne fait pas exception. Mais en démocratie le peuple parvient à contenir la dictature du pouvoir à travers des structures diverses jouant le rôle de contrepoids. En Pologne la bravoure et la détermination de Lech Walesa et le mouvement syndical « Solidarnosc » avaient permis de libérer le pays du joug soviétique d’abord et de la dictature militaire ensuite. Grâce au mouvement qualifié de « Révolte des robes noires » les avocats pakistanais avaient dénoncé avec succès la dérive dictatoriale de Perez Musharaf (2007) alors ce dernier avait le soutien de l’Occident. Mais face aux atteintes délibérées et répétées du pouvoir aux normes et valeurs démocratiques consignées dans la constitution, les avocats congolais disposent des connaissances suffisantes et d’atouts sociaux nécessaires pour revendiquer avec succès le respect de l’Etat de droit. Ce qu’ils ne font pas encore. Or il est de principe en droit que quiconque peut empêcher la commission d’un crime mais ne le fait pas se rend coupable de la non assistance à personne en danger. En l’espèce, les avocats congolais, conscients de la dérive dictatoriale du pouvoir, disposant de l’expertise et des atouts nécessaires pour défendre l’Etat de droit mais s’abstiennent de le faire, se rendent coupables de la non assistance à peuple en danger. En cette période électorale, alors que les querelles politiques obscurcissent le débat d’intérêt général, les avocats se rendraient utiles en accomplissant trois missions :
Défendre la souveraineté du peuple
De par son statut professionnel, son expertise en matière juridique et sa position au sein de la société, l’avocat est par définition un défenseur des droits de l’homme. A ce titre, il est censé exiger du pouvoir le respect de l’indépendance de la justice, gage de la promotion et protection des droits et liberté de toute personne. Il est censé défendre le respect de l’Etat de droit qui garantit le mieux l’exercice de la souveraineté par le peuple. Au regard des atteintes délibérées et répétées du pouvoir au fondement juridique de l’Etat et aux multiples restrictions des droits et libertés fondamentaux, il est sans conteste que le régime actuel ne fait pas des principes démocratiques ses normes de référence. En effet, jouissant déjà d’une totale emprise sur le gouvernement qu’il dirige et le parlement où la majorité lui est acquise, le chef de l’Etat aimerait contrôler en outre l’appareil judiciaire. Cette volonté s’est manifestée à travers le projet de révision constitutionnelle de mars 2010 dans le but de placer les magistrats du parquet sous l’autorité du ministre de la justice et d’intégrer des membres du gouvernement au sein du conseil supérieur de la magistrature. Et même si cette réforme n’a pas abouti comme prévu, il n’y a aucun doute que la justice est, de facto, sous contrôle du pouvoir. En pratique, comme tout le monde sait, la politique de « tolérance zéro » signifie en réalité une répression systématique de toute contestation du pouvoir et une impunité garantie à tous les crimes du pouvoir. Faut-il encore rappeler les crimes contre les activistes des droits de l’homme et journalistes couverts par le pouvoir demeurés sans suite judiciaire? Ou les détournements des deniers publics, les abus des biens sociaux ou le trafic illicite des ressources minières n’ayant donné lieu à aucune action de la justice ? De tout ceci il se passe que la « souveraineté du peuple » est progressivement et subtilement remplacée par la « souveraineté du pouvoir ». Et si le régime actuel était reconduit à l’issue des élections, la dérive dictatoriale du pouvoir va se consolider. Il est dès lors du devoir des avocats de s’impliquer dans la lutte pour défendre le respect de la souveraineté du peuple.
Exiger la transparence du processus électoral
L’élection est un moment de haute importance politique dans la vie d’une nation en ce qu’elle est le lieu, pour le citoyen, d’émettre son jugement face à la gestion des affaires publiques en décidant du sort des dirigeants. Elle implique pour cela le respect des textes juridiques y relatifs et la transparence des procédés permettant à l’électeur de s’exprimer. Mais lorsque le pouvoir, dans le seul but de s’assurer la réélection, révise en janvier 2011 la constitution en ramenant l’élection présidentiel au scrutin à un tour plutôt qu’à deux tours, il s’agit ni plus ni moins d’une violation de la constitution. Aussi lorsque le même pouvoir, en complicité avec la commission électorale acquise à sa cause, fait ensuite adopter les annexes à la loi électorale avant le toilettage du fichier électoral, nul doute n’est permis sur la volonté de fausser les données sur la base desquelles les élections seront organisées. Et pour enlever le doute aux sceptiques, la commission électorale affiche son parti pris en rejetant toute demande d’audit du fichier électoral avant de le conditionner à la présence des délégués du pouvoir qui n’en a jamais fait la demande. Elle garde (la commission électorale) un silence coupable face à la répression par le pouvoir de toute manifestation revendiquant la transparence du processus électoral, la confiscation par le pouvoir des médias officiels, la destruction par le même pouvoir des médias de l’opposition, l’usage par le pouvoir de l’argent et des biens de l’Etat pour la campagne etc. C’est dans ce contexte que la commission exige à l’opposition de signer le code de bonne conduite pour des élections transparentes et apaisées. Quel contraste ? Tous ces actes sont en contradiction flagrante avec la constitution, les lois et les principes démocratiques que les avocats congolais sont en devoir de dénoncer dans l’intérêt supérieur de la nation. Mais alors que les ONG des droits de l’homme, nationales et internationales, l’église, certains Etats étrangers et même le citoyen dénoncent le manque de transparence électorale, le corps des avocats est superbement absent de ce débat. Toutefois il est à espérer qu’ils sortent de la léthargie suivant le principe que « la nécessité crée la fonction ».
Prévenir la balkanisation de la RD Congo
Lorsqu’Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne en 1933 et que nul ne doute de sa haine contre les juifs, les allemands n’affichent aucune préoccupation car ils s’estiment non concernés. Mais lorsqu’il supprime le parlement et interdit les partis politiques, les allemands sortent du sommeil et ça machine était déjà en marche. La suite on la connait. Plus de près de nous, lorsqu’en 1994 Paul Kagame prend le pouvoir au Rwanda, les tutsi rwandais s’estiment rassurés et ils lui accordent tout leur soutien. Mais à présent que la dictature de Kagame n’épargne personne, l’on enregistre de plus en plus des opposants tutsi qui fuient le Rwanda. La dictature sévit contre tout le monde. Pour ce qui est du Congo, la menace de la balkanisation tient essentiellement à la convoitise suscitée par la présence d’énormes ressources minérales. La vision hégémonique du Rwanda et les ambigüités de l’Ouganda accentuent ce risque comme l’ont démontré des faits récents. Dans ce contexte, il est curieux d’observer le laxisme du pouvoir de Kinshasa face aux groupes armés actifs à l’Est et soutenus par ces deux Etats voisins qui se livrent, en plus, à l’exploitation illicite des ressources minières. Ce constat fait naitre le doute sur les visées réelles du régime Kabila. Des informations diffusées par la presse et les ONG exerçant à l’Est font état des relations ambigües entre le pouvoir et les armées rwandaise, ougandaise et même tanzanienne. L’infiltration des sujets étrangers dans l’armée et les services de sécurité fait dire à beaucoup que le régime actuel en RDC est un pouvoir d’occupation. Pour les partisans de cette thèse, seule la lutte armée serait à envisager pour rétablir la souveraineté du peuple congolais. A l’opposé, la majeure partie des congolais souhaitent le changement par voie électorale. Mais il n’est pas exclu que la tendance s’inverse en cas de non tenue des élections ou de fraude électorale. Or la fraude c’est aussi le fait d’exploiter la misère du peuple en lui offrant des cadeaux à des fins électorales ou d’utiliser l’argent de l’Etat pour s’assurer le soutien des musiciens et comédiens afin de mobiliser l’électorat à son compte. A l’instar des allemands et des rwandais, ceux des congolais qui bénéficient des largesses du pouvoir actuel ne se rendent pas compte qu’ils consolident la dictature et mettent en péril l’existence même du Congo. Mais l’avocat devrait en être conscient. C’est en défendant le respect de la souveraineté du peuple et la transparence électorale qu’il pourra contribuer à prévenir la balkanisation programmée du Congo. Son patriotisme est à ce prix.
Me Honoré Musoko
Justice Plus/ Pays-Bas